Frank Lincoln Wright, a déboulé dans ce bas-monde un 8 juin 1867, dans un patelin perdu du Wisconsin, Richland Center. Lorsqu’il est enfant, sa mère le met très tôt sur les rails de l’architecture : des jeux de construction pour l’occuper et des images de cathédrale au-dessus du landau pour le conditionner.
Dans son arbre généalogique, des pasteurs, des enseignants, des agriculteurs ayant fui le Pays de Galles en 1844.
À 14 ans, ces parents divorcent, et maman récupère le marmot. Frank, il n’a jamais digéré ce coup-là. Alors il a décidé de virer le ‘Lincoln’ de son nom, et s’est fait appeler Frank Lloyd Wright, du nom de sa mère.
Sa mère, elle l’avait à l’œil. Elle a vu qu’il était mordu de dessin au point d’en oublier le reste. Alors zou, à la ferme de l’oncle James chaque été, à bouffer de la poussière et à apprendre la vie avec les bottes dans la boue.
Histoire qu’il touche la terre et qu’il découvre une autre école…celle de la nature.
Chicago et les « prairie houses »
À 20 ans, il débarque à Chicago, ville encore fumante du grand incendie de 1871, « the place to be » pour un archi. Embauché chez Joseph Lyman Silsbee, puis chez Adler & Sullivan, Frank absorbe tout, notamment les idées de Louis Sullivan, le gourou des gratte-ciels et de la formule « la forme suit la fonction ».
1889, À 21 ans, il enfile le costard de jeune marié avec Catherine Lee Tobin, croisée lors d’une soirée costumée à l’église. Fauché comme les blés, il emprunte 5 000 $ à Sullivan pour acheter un bout de terrain au 951 Chicago Avenue. Il y pose une maison qui fait du bruit dans tout le quartier, les clients rappliquent et son carnet de commande se remplit… dans le dos de son patron.
En 1893 il a une sérieuse discussion avec Sullivan qui a découvert l’histoire et les deux hommes décident de mettre fin à leur collaboration. Malgré cet épisode Frank gardera toujours un respect d’acier pour son mentor.
Pas grave, il ouvre sa boutique et sort ses « Prairie Houses », des maisons qui collent à l’horizon avec leurs toits plats et leurs lignes qui chuchotent à la nature. Ce n’est pas de l’architecture, c’est du cousu-main pour le Midwest.
Son truc ? L’architecture organique, une patte qu’il polit pendant des années, de la maison Winslow de 1893 jusqu’à la maison Robie en 1910, l’apogée du style Prairie. Chaque maison, est un clin d’œil à ses racines de gamin élevé au grand air.
Et tout ça, en plein boom industriel, alors que la vapeur et l’acier envahissent le paysage. Un autre aurait peut-être hésité à mélanger machines et nature. Pas Frank. Lui, il les prend par la bride, il dompte l’industrie pour en faire une alliée, un outil au service d’une archi qui respire et qui vit.
1914, La tragédie Taliesin et Taliesin West
1903, Frank Lloyd Wright est bien présent dans le paysage architectural américain ; il a déjà réalisé une poignée de projets très remarqués, pour des particuliers. En 1905, un certain Edwin Cheney, ingénieur électricien, le choisit pour dessiner sa future maison. Une fois le contrat signé, l’artiste fait la connaissance de l’épouse de son client, Martha « Mamah » Borthwick Cheney. C’est le coup de foudre – même si lui a déjà six enfants de son côté. Les amants demandent le divorce à leurs partenaires respectifs. Monsieur Cheney accepte. Madame Wright, non. Aïe, scandale dans la bonne société de Chicago.
Entre 1909 et 1910, Frank s’éclipse quelque temps en Europe avec « Mamah », après avoir frappé un grand coup avec son célèbre « Wasmuth Portfolio ». Ce recueil, véritable manifeste de son génie, fait vaciller les pontes en devenir du Баухаус. À l’époque de sa publication, trois futurs géants de l’architecture du XXe siècle – Le Corbusier, Ludwig Mies van der Rohe, et Walter Gropius – sont encore assistants dans l’atelier de Peter Behrens à Berlin. Lorsqu’ils mettent la main sur le portfolio, ils en restent bouche bée, au point d’arrêter de travailler la journée entière.
Quand il revient, il n’a plus aucune commande à cause d’un sentiment public négatif entourant son statut de non-marié. Si cela leur met des bâtons dans les roues, ils ne vont pas pour autant s’empêcher de vivre leur histoire d’amour. Puisqu’ils ne peuvent pas partager la même maison, il promet de lui en construire une, où ils pourront se rejoindre à l’envie…Taliesin dans le Wisconsin.
Puis la tragédie… 1914, Taliesin toujours, son havre, sa maison d’artiste, devient un cauchemar. Un employé vrillé met le feu et massacre sept personnes à coups de hache. Mamah, sa muse et ses deux enfants, tous disparaissent dans le brasier. Wright, est ravagé. Mais il se relève, il rebâtit Taliesin, comme un forcené, avec des larmes plein les yeux.
Côté cœur, le chaos continue. Miriam Noel, la suivante, un cocktail explosif : accro à la morphine et diagnostiquée schizophrène, la totale. Frank, dans un moment d’égarement, l’épouse, pour se faire plumer en beauté lors du divorce. Mais entre deux mariages ratés et autant de déboires financiers, il s’accroche à sa planche à dessin comme un forcené. Résultat : des créations toujours plus audacieuses, toujours plus grandioses, à l’image de l’hôtel Impérial de Tokyo, érigé entre 1915 et 1922, en pleine tourmente personnelle.
Bon, pour couronner le tout, la crise de 29 lui tombe dessus comme un prédateur affamé… Frank n’a plus de client et Taliesin se retrouve sous le marteau de la banque. Et là, miracle ! Un ancien client, un certain Darwin Denice Martin, se dit qu’il peut peut-être faire un geste. Il réunit des fonds, et hop, il lui rend la baraque.
Enfin, en 1924, Olga Ivanovna Lazović, originaire du Monténégro entre dans sa vie, elle sera la dernière, celle qui restera jusqu’à la fin. Ensemble ils fonderont Taliesin West.
En 1937, au cœur du désert de l’Arizona, Taliesin West émerge comme un mirage. Dès 1935, sur recommandation de son médecin, Wright commence à fuir les hivers glacials du Wisconsin pour migrer vers le climat plus clément de l’Arizona. Deux ans plus tard, il acquiert une parcelle aride qui deviendra Taliesin West, un lieu unique mêlant maison, atelier d’architecture et école
Bon nombre des bâtiments les plus célèbres de Wright ont été conçus dans la salle de dessin de Taliesin West, notamment le musée Guggenheim de New York et l’auditorium Grady Gammage de l’université d’État de l’Arizona à Tempe. Taliesin West continue d’être le siège de la Fondation Frank Lloyd Wright et de ses nombreux programmes.
Les années 30, Fallingwater et le musée Guggenheim
Entre 1936 et 1939 c’est le Bâtiment Johnson Wax à Racine dans le Wisconsin et sa « forêt » de colonnes en béton dans la grande salle de travail…toujours cette référence à la nature.
Entre 1935 et 1939, Frank Lloyd Wright signe un coup de génie : Fallingwater, la légendaire Maison sur la Cascade en Pennsylvanie. Tout commence quand Edgar Kaufmann, son client, le harcèle au téléphone : « Alors, Frank, ces plans, ils sont où ? » Wright éclate de rire : il n’a rien fait. Pas un trait. Mais il s’assied, prend ses crayons, et en deux heures chrono, sous la pression, il dessine un des chefs-d’œuvre absolus de l’architecture moderne. Un miracle en un jet. Kaufmann reste sans voix. Plus tard, Wright confiera : « Le meilleur moment, c’est toujours le dernier moment».
Le 18 janvier 1938, Time Magazine consacre sa couverture à cette prouesse architecturale. Pourtant, rien n’est jamais simple avec Wright. Dans les années 90, Fallingwater frôle la catastrophe : trop audacieuse, trop en avance, la structure menace de s’effondrer. Ces problèmes structurels sont largement attribués à la sous-estimation par Wright de la quantité d’acier nécessaire dans le béton, malgré les avertissements des ingénieurs. Il fallu des barres d’acier et des millions de dollars pour la sauver. Aujourd’hui, la maison tient bon et elle est devenue un symbole du patrimoine architectural mondial. Avec Fallingwater, Wright réalise un tour de force : il intègre les habitants à la nature environnante, comme un écho profond à son enfance et à son amour viscéral pour celle-ci.
En 1936 il conçoit une nouveau format d’habitation, les « Usonian houses » qui étaient une réponse à la crise économique de la Grande dépression et de sa vision d’un logement moderne, fonctionnel et abordable pour la classe moyenne américaine. Le terme « usonien » provient d’une idée de Wright pour désigner un style propre aux États-Unis.
La première maison usonienne fut la Jacobs House (1937) à Madison, Wisconsin. Ce projet servit de prototype, et Wright en construisit ensuite une soixantaine à travers les États-Unis. Ces maisons influencèrent fortement l’architecture résidentielle, jetant les bases des banlieues modernes.
Et puis, pour couronner sa carrière, le Guggenheim entre 1943 et 1959, cette spirale impossible au milieu de New York. Wright pensait qu’il serait plus judicieux de prendre l’ascenseur pour commencer par le haut et de suivre une rampe le long de laquelle serait exposé les œuvres avant de se trouver au rez-de-chaussée au terme de la visite.
Le projet fût mainte fois repoussé et fini par être inauguré en 1959… six mois après la mort de Wright à Phoenix à l’âge respectable de 91 ans.
Wright, n’était pas un modèle de vertu, certes. Marié trois fois, tyrannique avec ses apprentis, flamboyant jusqu’à la ruine. Il aimait les voitures rapides et les cigares, les mots bien frappés et les défis impossibles.
Le célèbre architecte, reconnu en 1991 par L’American Institute of Architects comme le plus grand architecte Américain de l’histoire, avec ses éclats de génie et son amour de la nature repose en paix à présent…mais ses murs parlent encore, maman avait vu juste.
Pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Frank_Lloyd_Wright
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