Un môme pointe le bout de son nez un 15 décembre 1907, au Brésil, avec dans les veines un cocktail épicé de sang allemand, portugais et arabe. Il arrive tout droit de Rio de Janeiro, cette ville où les familles ont des noms longs comme un été carioca, Le sien, va marquer l’histoire de ce pays : Oscar Ribeiro de Almeida Niemeyer Soares Filho.
L’Oscar, il n’a pas exactement eu un démarrage de traversée du désert, fiston d’une famille bourgeoise bien installée, papa est érudit et ingénieur, héritage plein les poches, il avait déjà une avenue qui portait le nom de son grand-père avant même d’avoir fait quoi que ce soit.
Mais il avait ça dans le sang, le garçon. Pas la fortune, non, il l’a laissée aux siens. C’était l’art, le dessin, ce qu’il voulait, le jeune Niemeyer passe son temps à dessiner, à l’école, en arts plastiques, il ne faisait pas dans la demi-mesure : toujours 20 sur 20. Sauf que, bon, pour le reste, pas très scolaire le jeune, faut dire les choses. À 21 ans, il dit « oui » à Annita Baldo, sans le sou, mais avec un cœur gonflé comme une voile pleine de vent. De cette union naîtra leur fille unique, Anna Maria Niemeyer, en 1929.
Son père l’embauche dans l’entreprise familiale, une imprimerie, puis le vire parce qu’il dessine des portraits sur les livres de compte.
La même année, Il s’en va gratter des plans à l’Escola Nacional de Belas Artes. Il en ressort avec son diplôme dans les poches en 1934 et rejoint en 1936 ce vieux Lúcio Costa, un autre avec des idées pas tout à fait normales pour l’époque.
Et puis là, l’histoire commence vraiment. Le pavillon brésilien à l’Exposition universelle de New York, 1939. Bam. On commence à entendre ce nom qui roule comme une vague, Niemeyer.
Le Corbusier, la ligne droite et la courbe : duel au sommet
C’est dans le cabinet de Lúcio Costa qu’il peut participer au projet qui marque l’avènement du modernisme dans son pays: la construction du ministère de l’Education et de la Santé à partir de 1936, dont Le Corbusier est architecte conseil. À un moment, il croise l’architecte Suisse qui aime bien quand tout est carré, rangé et fonctionnel. Le Corbu, il aime les lignes droites et les angles. Et puis t’as Oscar, lui, il rêve de courbes, de mouvement. Il balance à Le Corbusier un truc du style : « Eh, moi, c’est les courbes des montagnes, des rivières, et du corps des femmes qui me parlent. » Le Corbusier, il a dû s’étouffer dans son café, mais bon, il l’a avoué à demi-mot : ce que faisait Oscar, c’était baroque, mais c’était foutrement bien fait.
Néanmoins, Niemeyer admirait l’œuvre de Le Corbusier qu’il considérait comme son « maître ».
En 1943, Niemeyer réalise son premier coup d’éclat avec l’Église Saint-François d’Assise de Belo Horizonte, communément appelée « Igreja de Pampulha« . Cette œuvre, l’une des premières de style moderne au Brésil, lui est commandée par le maire de la ville Juscelino Kubitschek, elle porte déjà en germe sa signature architecturale caractérisée par l’utilisation audacieuse de courbes et de formes organiques.
La courbe, pour Niemeyer, c’est pas juste une fantaisie. C’est de l’art, du sentiment, un pied de nez à la rigidité des normes.
De 1947 à 1952, Niemeyer participe à la conception du siège des Nations unies à New York, un projet qui contribue à asseoir sa réputation internationale.
Brasília : quand l’utopie se prend un mur
Le clou du spectacle, c’est Brasília. En 1956, la ville née du néant, comme un rêve poussé sur la savane brûlante. Le président Kubitschek, ancien maire de Belo Horizonte, lui file les clés de la future capitale, en plein désert, et il lui dit : «Oscar, fais-nous une ville ! » Et là, il se lâche. Le gars te pond des bâtiments futuristes comme si c’était du tricot. Cathédrale, palais des congrès, tout y passe, du béton qui vole et qui fait rêver. Mais c’est pas juste des constructions, c’est le symbole d’un Brésil qui regarde vers l’avenir, loin des côtes coloniales, loin de l’Europe.
Mais bon, tout ça, ça n’a pas été sans quelques couacs. Les ouvriers qui triment dans des conditions difficiles pendant que les élites sirotent des cocktails dans leurs nouveaux bureaux, ça fait un peu tache dans le décor. Conçue pour accueillir 500 000 habitants, Brasília en abrite aujourd’hui 2,7 millions. Seules les classes aisées habitent les superquadras idylliques imaginés par Costa. « Brasília, de ville socialiste qu’elle voulait être, est devenue l’image même de la différence sociale », écrira Umberto Eco. Sympathisant communiste, Niemeyer prend vite la mesure de cette désillusion : « J’ai travaillé pour les riches, pour les puissants. Rien que cela », déplore-t-il en 1965.
Rouge jusqu’au bout des ongles
Niemeyer, il n’était pas juste bon pour dessiner des bâtiments, c’était un rouge pur jus. Entré au Parti Communiste en 1945, il ne l’a jamais quitté, fidèle à ses idées. Et il rigolait pas avec ça. Quand on lui demande de concevoir le siège du PCF en France, il le fait gratos, comme ça, par conviction.
Ses constructions, c’était un bras d’honneur à l’Europe et à son modernisme rigide. Lui, il disait que le Brésil n’avait rien à apprendre des Européens, que ses courbes, c’était du pur Brésil, du paysage en béton.
Exil, galère et retour en fanfare
Puis y a eu le coup d’État militaire en 1964. Niemeyer, avec son badge du PCF, Choisi un « exil volontaire ». Il va poser ses valises en France, faut dire que la presse est folle de ces bâtiments et le grand public a pu apprécier Jean-Paul Belmondo qui fait le cabri en smoking blanc dans L’Homme de Rio (1964), le tout filmé par De Broca au milieu de cette capitale brésilienne flambant neuve. Niemeyer a déclaré que les militaires lui avaient « rendu, sans le vouloir, un très grand service » car son exil lui avait permis de faire connaître son architecture et les progrès de l’ingénierie brésilienne à l’international.
En France Oscar ne chôme pas puisqu’il réalisera plusieurs projets d’importance pendant son exil, principalement entre 1965 et 1981 : la maison de la culture du Havre, surnommée « Le Volcan », la bourse départementale du travail de Bobigny, le siège de L’Humanité à Saint-Denis, la Villa Nara Mondadori à Saint-Jean-Cap-Ferrat, Logements collectifs à Grasse, Dieppe et Villejuif, projet pour Renault à Boulogne-Billancourt.
Oscar Niemeyer, faut croire qu’il avait la retraite en horreur. En 1985, quand le vieux lion rentre au bercail après 21 ans d’exil en France. Loin de raccrocher les plans, il attaque direct des projets d’envergure, comme s’il avait vingt ans de retard à rattraper. En 1988 il reçoit le prix Pritzker pour l’ensemble de son œuvre. Le jury a souligné sa contribution significative à l’architecture moderne, en particulier son travail à Brasília.
Entre 1991 et 1996, il nous sort le musée d’art contemporain de Niterói. Et hop, en 2003, il remet ça avec l’auditorium de São Paulo, inauguré en 2005. Toiture ondulante de 27 000 m², rien que ça. Mais le Brésil, c’est pas tout. Le bonhomme continue à construire à l’étranger : centre culturel international en Espagne, monuments pour Chavez au Venezuela, et même un clin d’œil bétonné à son pote Fidel à Cuba. Le gars est partout, infatigable. Le mec devient une légende vivante. Un jour, on lui demande le secret de sa longévité, et il lâche avec un sourire : « Travailler et boire du bon vin rouge ! »
Le 16 novembre 2006, à l’âge de 98 ans, Niemeyer épouse en secondes noces sa secrétaire, Vera Lucia Cabreira, âgée de 60 ans Ce mariage tardif est comme un dernier trait audacieux sur la toile de sa vie. Son mariage avec Annita avait durée 76 ans, jusqu’à son décès en 2004.
Niemeyer s’éteint en 2012, à quelques jours de ses 105 ans. Fidel Castro avait raison : « Il reste que deux communistes au monde, moi et Oscar. » Mais Niemeyer, ce n’était pas juste un communiste. C’était un poète du béton. Et si ses œuvres, comme Brasília, sont parfois accusées d’être froides, éloignées des gens, il n’en reste pas moins que Niemeyer a rêvé plus grand que les autres. Et il nous a laissé ça, des monuments et des idées, pour que, nous aussi, on regarde plus loin que l’horizon.
Intéressé par le bonhomme ? t’en saura plus en suivant ces liens :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Oscar_Niemeyer
https://www.decitre.fr/livres/les-courbes-du-temps-9782070751822.html
https://www.architectmagazine.com/practice/oscar-niemeyer-man-of-the-people_o?o=1
https://patrimoine.seinesaintdenis.fr/IMG/pdf/dossier_de_presse_niemeyer.pdf
https://www.parismatch.com/Culture/Art/Ma-rencontre-avec-Oscar-Niemeyer-le-genie-des-courbes-158951